Le prologue de Jean

Prologue évangile Jean
Prologue évangile Jean

Ce qu’on appelle « prologue de Jean » est le début du premier chapitre de l’évangile de Jean. C’est un texte magnifique, dans un style très différent du reste des évangiles. C’est un texte poétique, beau, profond, un peu mystérieux aussi. C’est aussi l’un des textes qui soulèvent le plus grand nombre de questions théologiques et qui comportent de multiples enjeux.

Dieu est Parole et Lumière

« Au commencement était la Parole », ce début bien connu nécessite déjà d’importants commentaires.

Tout d’abord, Jean ne parle pas de la naissance de Jésus, tout comme Marc d’ailleurs et comme Paul. Jean est là fort avisé : il va au‐delà d’une expression mythologique de naissance plus ou moins miraculeuse. À la place, il s’intéresse au sens de la venue du Christ dans le monde d’un point de vue spirituel. Qui est Jésus par rapport à Dieu, que nous révèle‐t‐il de lui, qui est Dieu et comment agit‐il dans le monde ?

Et puis Jean présente une théologie particulièrement moderne et crédible. Ce qu’il dit, c’est
que Dieu est à la fois parole et lumière. Nous sommes ainsi au-delà d’une vision enfantine
d’un Dieu qui serait une personne toute‐puissante régnant sur le monde du haut du ciel, pour présenter un Dieu à l’œuvre dans le monde.

Parole

Si Dieu est parole, alors il n’est pas tout‐puissant : la parole est une chose essentielle, mais
elle ne peut pas contraindre et rien imposer. La parole, c’est une puissance de persuasion, c’est un appel, une instruction, pas une force d’action concrète. Dieu est ainsi montré comme
œuvrant dans le monde en apportant une information créatrice, pas en agissant concrètement hors des lois de la nature. Et par rapport à l’homme, l’action de la parole de Dieu demande l’adhésion pour pouvoir être efficace, elle ne l’est pas en elle‐même.

Lumière

Ensuite dire que Dieu est lumière, est une affirmation essentielle, parce que la lumière n’impose rien, elle ouvre juste un chemin et permet à chacun de trouver sa propre route avec intelligence. Cela va dans le sens du Psaume 119 (v. 105) qui dit à Dieu : « ta parole est une lampe à mes pieds, une lumière sur mon sentier ». Le psaume ne dit pas « ta parole est le sentier que je dois suivre », mais il montre que la parole de Dieu peut éclairer notre route.

Ainsi chacun a une route qui est la sienne, et cette parole n’est pas là pour nous mettre dans un rapport de soumission passive où il faudrait croire et faire tout ce qu’elle dit. Elle éclaire, ouvre des horizons et nous permet de choisir notre propre route avec intelligence.

Le logos

Le texte original en grec dit en effet : « Ἐν ἀρχῇ ἦν ὁ λόγος en archi in o logos », « au commencement était le logos ». Or la notion de « logos » est très importante dans la philosophie grecque, elle désigne la raison et l’intelligence.

Mais il n’est pas indispensable d’avoir recours à la philosophie grecque pour expliquer la présence ici de ce mot « logos ». Dans le judaïsme, la notion de « parole » est bien connue. Elle est exprimée par le mot « dabar » en hébreu. Et « dabar » est traduit dans la Septante (1), depuis 300 ans avant Jésus‐Christ, tout naturellement par le mot « logos ». Les Hébreux n’ont pas eu besoin de la philosophie grecque pour évoquer la « parole de Dieu » (« logos tou théou » ), qui a, chez eux, une importance considérable. On sait en particulier que Dieu a créé le monde par sa parole. Selon Genèse 1, Dieu crée en parlant : « Dieu dit : soit la lumière ».

Le prologue de Jean est ainsi un commentaire, une reprise, du récit de la création du monde selon les premiers mots de la Genèse. L’évangile de Jean et la Genèse en grec commencent de la même manière, « en archi ». C’est pourquoi il a souvent été dit que ce prologue de Jean est une sorte de « midrash », un commentaire du récit de la création du monde.

Jean reprend donc l’idée du Dieu créateur, et donne une importance particulière à sa parole créatrice.

Auprès de Dieu ?

Mais les choses se compliquent très rapidement. Juste après la première affirmation, il est dit, selon les traductions habituelles : « et la parole était avec Dieu ». Cela donne l’impression qu’il y a une distinction entre Dieu et sa parole.

Cela devient extrêmement difficile à comprendre, voire inintelligible. En effet, comment comprendre qu’il y ait Dieu d’un côté, sa parole de l’autre. Comment admettre que sa parole soit une sorte d’être indépendant, comme une personne autre que lui qui serait comme co-existant à ses côtés. Et ce qui est totalement absurde, c’est qu’à la fin du premier verset, Jean conclut en disant « et la parole était Dieu » ! Il identifie alors Dieu et sa parole alors qu’avant elle était dite « à côté » de lui, ce qui les suppose distincts. Elle ne peut pas être à la fois avec Dieu et Dieu lui‐même, c’est tout à fait inintelligible.

À partir de là, il y a eu de très nombreux commentaires, et beaucoup de façons de s’y prendre pour essayer de résoudre le problème.

“Auprès de Dieu” ou “celle de Dieu” ?

La plus simple serait tout simplement de se poser la question du sens exact de la préposition « pros » en grec qui est utilisée là. Si son sens le plus fréquent est effectivement « à côté », « tourné vers », elle peut aussi désigner l’appartenance. Comme c’est le cas en Romains 15,17 : « J’ai donc sujet de me glorifier en Jésus‐Christ, pour ce qui est à Dieu » avec la même formule « pros ton Theon ».

Autrement dit, on peut traduire ce premier verset par « au commencement était la parole, et la parole était celle de Dieu et la parole était Dieu ». C’est alors très clair. Ce qui est à la base de tout c’est une parole, mais pas n’importe quelle parole, la parole de Dieu, c’est‐à‐dire la parole créatrice. Jean nous donne ensuite une autre information théologique essentielle. Cette parole est Dieu, donc Dieu est assimilable à son propre acte créateur. Dieu, en soi, est parole, et la parole de Dieu, c’est Dieu.

C’est là la solution la plus simple, la plus monothéiste, et c’est sans doute celle qu’il faudrait retenir. Mais curieusement, elle n’est proposée par aucune traduction aujourd’hui. Toutes les traductions et la plupart des commentaires vont vers une dissociation de Dieu et de sa parole.

Les traductions discutables

Parmi les pires traductions, il y a la Bible en français courant, (et à peu près de la même manière la nouvelle Segond 21) qui traduit : « Lorsque Dieu commença à créer le monde, la parole existait déjà. » Là, ce n’est plus de la traduction, mais une sorte d’extrapolation théologique qui est extrêmement grave. Il est dramatique que des traductions se permettent ce genre de choses. Ajouter un « lorsque », c’est enlever toute idée de création ex nihilo et nier Dieu comme principe premier et unique de la création.

Comme si Dieu n’était pas le seul principe éternel, mais qu’il y aurait un autre principe divin (voire une personne) qui eût pu être sa parole. Nos traductions imposent, aux pauvres bonnes volontés qui veulent découvrir la Bible, une bouillie théologique incohérente. On comprend que bien des gens s’écartent de la religion chrétienne quand on essaye de leur dire qu’il faudrait passer par l’adhésion à des messages totalement irrationnels et inassimilables.

D’après Louis Pernot

(1) Qu’est-ce que la Septante ? Voir ici.

D’autres textes ici.

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3 réponses

  1. Vincent D. dit :

    Enfin une approche cohérente et sensée qui me réconcilie avec l’évangile de Jean !
    Merci !

  2. Mathieu dit :

    Merci pour cet approfondissement d’un texte dont la poétique a donné lieu à tant d’extrapolations magiques et délirantes éloignant de son sens primitif et ô combien porteur de vie.

  3. Christiette Albe dit :

    Ce commentaire donne envie d’approfondir et d’étudier plus les textes de la bible. Merci.

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