J’étais en prison, et vous êtes venus auprès de moi

Prison de Constance
Prison de Constance

Venez, vous qui êtes bénis de mon Père, possédez en héritage le royaume qui vous a été préparé dès la fondation du monde ; car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli ; j’étais nu, et vous m’avez vêtu ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus auprès de moi.

Matthieu 25 :34-36

La plupart du temps; on lit ce verset au pied de la lettre. Et c’est possible d’en rester là, bien sûr. Mais si l’on s’en tient à ce “premier degré”, on va se priver d’une des richesses de ce texte.

Premier degré

Au “premier degré”, effectivement, la charité chrétienne (1) propose bien tous les actes qui sont décrits dans ce texte. Nourrir celui qui a faim, recueillir les étrangers (2), embrasser la carrière de visiteur de prisons. C’est finalement rendre tous les services et tous les soins de la charité la plus active et la plus dévouée.

Rassurons-nous, contrairement à ce que les annonceurs de mauvaises nouvelles nous disent à longueur d’année, beaucoup mettent en pratique ces demandes. Il n’est qu’à poser la question lors d’une réunion et on est surpris de voir que nombreux sont ceux qui ont une activité associative bienfaisante. Homme célèbre pour sa compassion, celui qu’on a appelé l’Abbé Pierre a plusieurs fois dit son optimisme sur le caractère charitable de la nature humaine. “Dès que vous faites appel à la générosité, à l’aide, à la compassion des gens ordinaires, on n’est jamais déçu et les appels sont toujours entendus”, disait-il.

Donc, pour une fois, la lecture littérale (au premier degré) d’un texte biblique est plutôt une bonne chose.

Deuxième degré

Mais il y a aussi un “deuxième degré” pour lire ce texte.

Ici, comme à son habitude, Jésus utilise des images pour se faire comprendre. Rappelons-nous, par exemple, les guérisons miraculeuses, les aveugles voient, les paralytiques marchent, les morts revivent. On peut vouloir les prendre au pied de la lettre. Mais c’est mieux de les comprendre comme des libérations des préjugés, des idées, des blocages, qui empêchent de voir autour de soi, d’aller de l’avant, de se remettre à vivre… Laissons cela.

Comment pourrait-on lire ce texte, en le prenant au deuxième degré ?

  • j’ai eu faim et vous m’avez nourri : j’avais besoin de vérité et vous ne m’avez pas menti
  • j’ai eu soif et vous m’avez désaltéré : j’étais en manque d’affection et vous m’avez témoigné de l’amitié
  • j’étais étranger et vous m’avez recueilli : j’étais dans la solitude et vous m’avez adopté
  • j’étais nu et vous m’avez vêtu : j’étais ignorant et vous m’avez enseigné votre sagesse
  • j’étais malade et vous m’avez visité : l’angoisse, l’anxiété, le désespoir, étaient mes compagnons et vous m’avez appris l’espérance
  • j’étais en prison et vous êtes venu auprès de moi : j’étais enfermé dans de fausses certitudes, dans des rites aliénants, et vous m’en avez libéré

On n’est certes pas obligé de ne voir que le deuxième degré mais, quand on lit la Bible, il faut toujours garder, dans un coin de son intelligence, que les paroles de l’homme de Nazareth s’adressent à tout un chacun et que chacun y peut trouver son compte. Chacun, c’est-à-dire celui qui vit dans le premier degré, comme celui qui entend dans ce texte des paroles qui lui parlent autrement.

Que comprendre, alors ?

Ignorance de nos œuvres

À cette remarque de Jésus, les justes s’étonnent : quand t’avons-nous accueilli, vêtu, nourri ? On a interprété de diverses manières ces questions des justes. Beaucoup y ont vu un signe de leur modestie, de leur humilité, dont pourtant ils n’avaient pas même conscience. On y a trouvé encore la pensée qu’ils avaient oublié leurs bonnes œuvres pour ne se souvenir que de leurs fautes. Dans cette attitude, ils n’avaient alors qu’un bienfait à espérer pour être sauvés : la grâce et la miséricorde de Dieu.

Sans doute, ces suppositions sont fondées, mais la cause principale de l’étonnement des justes est autre. C’est cette idée exprimée par Jésus (versets 35 et 36) : toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites.

Quelle idée stupéfiante pour eux, qui refusaient toute valeur à leurs œuvres ! Qu’ils aient fait à lui-même ce qu’ils avaient fait pour des malheureux. Ils ont du mal à réaliser. Ils ne voient pas la valeur immense que ces œuvres acquièrent tout à coup à leurs yeux par le fait que Jésus s’identifie ainsi avec les plus pauvres des hommes !

Avoir conscience

Finalement, comme le disait Bengel, théologien du XVIIème siècle, les fidèles n’ont point conscience de leurs bonnes œuvres, ni les impies de leurs mauvaises.

Alors, si vous vous sentez – ou vous découvrez – impies, c’est-à-dire pécheurs invétérés, incapables de faire le bien et enclins au mal comme le proclame la confession des péchés de Calvin, je n’ai qu’un mot à vous dire : changez de lunettes et abandonnez ces attitudes dictées par Augustin d’Hippone ! Car il est peu probable que vous soyez aussi mauvais que cela.

Ensuite, adoptez plutôt ce que dit le verset 34 : possédez le Royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde.

Deux remarques peuvent nous guider dans ce changement d’optique :

  • une histoire célèbre décrit un colibri, oiseau minuscule, qui s’acharne à déverser, sur un incendie, de l’eau qu’il transporte dans son bec. À ceux qui le dénigrent en allusion à la vanité de ses efforts, il répond simplement je fais ma part
  • le Deutéronome (Dt 30 :19) nous dit : j’ai placé devant toi la vie et la mort, le bonheur et la calamité ; choisis la vie ! Et tu vivras alors, toi et ta postérité.

Ce texte de Matthieu invite chacun, non pas à être parfait, mais à simplement “faire sa part” et à choisir le bonheur. Des commentaires juifs l’expriment un peu autrement : dans cet héritage, Dieu nous dit pose ta main sur la part la plus belle, c’est celle-là que tu dois prendre !

 

(1) L’islam et le bouddhisme font d’ailleurs également grand cas de l’aumône et de la charité.
(2) Notons que le mot que nous traduisons par ”vous m’avez recueilli”, signifie littéralement : vous m’avez emmené avec vous, c’est-à-dire introduit dans votre demeure, dans votre cercle de famille.

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