La troisième voie

Baruch Spinoza
Deus sive Natura

Suivre Jésus, ce n’est pas travailler pour construire l’église telle que nous l’imaginons. C’est s’engager dans le monde afin que chaque être puisse vivre totalement la plénitude de l’humanité pour laquelle il est fait.

Et tant mieux si tous ces engagés veulent se retrouver ensuite sous le sigle d’une institution ou d’une dénomination. Mais celles-ci ne sont que la conséquence de l’engagement dans la construction du monde.

Les institutions ne fonctionnent plus

Nous vivons une époque où les institutions qui organisent la société ne fonctionnent plus selon les attentes des gens.

En politique le régime des partis est en train de voler en éclats.

La bipolarité droite-gauche ne reçoit plus l’assentiment d’une majorité de la population.

Les électeurs sont de moins en moins nombreux.

La démocratie est remise en cause. Les idées les plus extrêmes font surface et s’imposent, au risque de tous les dangers. Dans cette même ligne de pensée, les syndicats sont de plus en plus divisés, leurs propositions très catégorielles. Ils recrutent de moins en moins d’adhérents.

Et la religion ?

Bien sûr la religion n’est pas en reste. Ses doctrines paraissent invraisemblables, coupées de la réalité et totalement inadaptées au monde moderne.

Le christianisme avait réussi au XVIe siècle une mutation avec la Réforme, au prix d’une division opposant les réformateurs à ceux qui refusaient tout changement. L’église toute-puissante voulait garder la suprématie. L’inquisition, la conquête du nouveau monde ont discrédité l’église.

Aujourd’hui la question de la pédocriminalité donne le coup de grâce à un christianisme en panne de crédibilité. Elle s’ajoute à l’inadaptation des dogmes, des doctrines et des institutions religieuses.

Qu’elles soient catholiques, évangéliques ou protestantes, elles pensent toujours en termes d’évangélisation, d’annonce de la parole, de reconquête des fidèles. Elles considèrent qu’elles détiennent une vérité à transmettre. Les velléités d’écoute, d’accompagnement et de tolérance ne sont que des ajustements de la manière dont elles utilisent la religion pour l’imposer.

Devant cette situation touchant notre pays, la France, mais aussi l’Europe et plus largement encore l’occident, il n’y a pas d’autres possibilités que de laisser émerger une troisième voie, apparaissant dans un premier temps comme tout à fait différente de ce que la société a connu jusqu’ici.

Dieu

Commençons par considérer les vieilles habitudes de pensées au sujet de Dieu.

Beaucoup de ceux qui y croient (comme ceux qui n’y croient pas), considèrent Dieu comme un être suprême à qui ils attribuent toutes les situations vécues, qu’elles viennent des humains, de la nature ou du hasard.

Ce dieu est responsable de tout, du bien et du mal, du vrai comme du faux. On le loue pour le meilleur, on le supplie pour qu’il répare le pire. L’humain n’a aucune liberté, sa vie entière est sous contrôle. Le droit divin excuse tout, et tant pis si ce droit n’est que l’invention de celui qui y croit.

Renoncer au nom

En résumé il s’agit de renoncer au nom même de Dieu puisque ce nom porte en lui, et désigne, le dieu ci-dessus décrit : un dieu fait à notre image.

Rappelons qu’en hébreu, il n’y a pas de mot définitif pour dire Dieu. Le Tétragramme YHWH le désignant est un ensemble de quatre lettres. Il est fait pour ne pas avoir à prononcer le nom de Dieu, qui porte un nom selon les circonstances.

Il est toujours “cette force qui permet de persévérer dans son être”, pour reprendre l’expression du philosophe Baruch Spinoza, une puissance de vie partout présente.

L’Église

Venons-en à la notion d’église telle qu’elle est vécue et comprise. Elle est à remettre en cause.

L’église catholique se considère de droit divin.

Certaines communautés évangéliques croient que Dieu les a lui-même mises en place et font confiance à un homme qui, dit-il, aurait reçu directement du Ciel sa mission.

L’église réformée est organisée à partir de principes humains. Elle n’attribue rien à la magie du divin.

Une institution bien distincte de l’Église invisible

Mais, dans tous les cas, l’église est considérée comme une institution, aux contours bien visibles. Or, selon la théologie de la Réforme, l’église est invisible. L’église-institution, nécessaire pour le droit républicain, ne se confond pas avec l’église invisible.

L’humain ne peut pas dire qui appartient à cette église, à l’église du christ, et qui ne lui appartient pas.

Nous avons tous rencontré des hommes et des femmes ne se réclamant d’aucune religion, se disant incroyants, tout en se battant avec force contre tout ce qui abîme l’humain et porte atteinte à l’humanité en général. De ce fait, nous ne pouvions alors que les reconnaitre comme appartenant à cette église invisible. Nous ne pouvons qu’évaluer les actes et les paroles qui libèrent, contre ceux et celles qui enchaînent.

En résumé, disons qu’une troisième voie sera ouverte lorsque les humains cesseront d’attribuer à un dieu ce qui arrive dans le monde. Alors, ils ne reconnaîtront comme causes à toutes choses que les lois de la nature et les actions des hommes. Ces actions, la présence divine est en elles.

Le vocabulaire

Enfin, la troisième voie passera par un abandon du vocabulaire religieux.

Aujourd’hui des mots comme péché, grâce, foi, rédemption, pardon, liturgie, sainteté, pénitence, confession, trinité et bien d’autres encore, ont perdu une partie de leur signification traditionnelle.

La grande majorité de la population ne les comprend plus. Leur sens a souvent glissé vers d’autres compréhensions. Par exemple, le mot foi, pistis en grec et fides en latin, se traduisait par promesse ou accord. Il n’entrait pas dans le domaine du religieux.

L’usage de ces mots rend pourtant la communication difficile.

Prêtres et pasteurs voudraient que ces mots, et les symboles de l’église, reprennent tous leur sens. Mais c’est oublier que les mots émergent dans un contexte particulier. Leur signification s’articule avec ce contexte. Lorsque celui-ci disparait, les mots qu’il avait engendrés disparaissent aussi.

Les symboles

Si la croix de lorraine symbolise et rappelle la résistance lors de la deuxième guerre mondiale, qu’en sera-t-il dans cent ou deux cents ans ?

Reste toutefois à s’entendre sur ce qui est retenu comme symbole.

Les miracles de Jésus, ou sa résurrection, sont-ils reconnus comme symboles ou comme faits réels ? Cette reconnaissance reste à la libre appréciation de chacun, sans qu’il puisse y avoir de vérification, y compris par les historiens.

Nous touchons ici aux limites de ce qui fonde le christianisme et les religions en général : elles s’appuient nécessairement sur le surnaturel. Elles nous conduisent à fuir le réel.

Le réel, Jésus le Christ nous y renvoie sans cesse par ses actes et ses paroles. Miracles et résurrection y sont contenus, sans faire appel au surnaturel.

Une troisième voie

La difficulté du « vivre ensemble » dans notre société, l’agressivité et l’impossibilité d’avoir des idées différentes sans être considéré comme un ennemi devrait, dans un futur proche, conduire à la troisième voie.

En effet, les humains, aspirant à plus de convivialité et d’altérité, chercheront ce qui peut les rassembler.

Dieu apparaitra alors comme cette atmosphère, cette force, ce souffle, qui unira et permettra, non seulement d’accepter l’autre tel qu’il est, mais d’échanger avec lui quelles que soient les différences.

Dieu deviendra « la Présence Divine » qui reliera tous les éléments de l’univers. Cette présence sera donnée par l’attention portée à la nature et à ses lois.

De la même manière que le monothéisme a succédé au polythéisme, cette nouvelle conception de dieu succédera au monothéisme.

L’unité spirituelle permettra et cohabitera avec la diversité exprimée par chaque individu. La félicité prévue par les religions dans un autre monde sera vécue sur la terre. Dieu sera reconnu comme le terreau dans lequel tout prend racine. Il ne sera plus objet de croyances.

Chacun en fera l’expérience.

Serge Soulié

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9 réponses

  1. Jean-Claude Bée dit :

    Je partage bien les idées de ce texte, à la suite des lecture de Spong et de
    Brono Mori Christianisme sans religion.
    Je m’inscris tout à fait dans cette spiritualité
    je vais diffuser dans les petits groupes que j’anime ce texte …
    Jean-Claude Bée

  2. Mercier Sylviane dit :

    je suis entièrement d’accord avec cet article. Une nouvelle réforme doit voir le jour.
    mais aussi dans l’esprit des personnes. Je suis de plus en plus intéressée par les Quakers dont la “religion” est simple car sans hiérarchie, sans dogmes, pacifiste, on ne nomme pas Dieu on dit le divin, on est dans la lumière, etc ; mais chacun est responsable de ses actes vis à vis des autres personnes, de la nature, de la planète dans la non violence en tout.
    Merci.

  3. Bruno ETIENNE dit :

    Merci à Serge Soulié pour ce texte qui synthétise parfaitement les questions que pose (ou que doit se poser) le christianisme aujourd’hui. Si la Réforme a initié en son temps des mutations indispensables et toujours d’actualité, elle s’est cependant “institutionnalisée” à outrance et est retombée dans les travers sclérosant des églises. Ce dont nous avons besoin est une “réformation permanente” qui porte un regard critique systématique sur les habitudes paresseuses constituées par les dogmes, les doctrines, les traditions sans fondement, et même le vocabulaire que nous employons car il fait courir le risque de transformer notions et concepts en boîte noire. Une religion qui est devenue une routine et qui n’est plus une interrogation sur soi-même, les autres et le monde est une religion morte.

  4. Holcroft dit :

    Oui des bonnes choses dans cette approche que je peux partager mais… c’est surtout du Christ qu’il n’est rien dit ! Qu’est-ce que la foi chrétienne sans christologie ?
    D’autre part il va souvent trop vite dans ses affirmations même si bien des intuitions peuvent être partagées.
    L’Eglise sans églises, c’est sans doute aller bien vite…
    Ceci dit le texte est inspirant, oui à quand la réforme dans nos Eglises…

    • Serge SOULIE dit :

      Bonjour et merci pour votre remarque.
      Je note que les contemporains de Jésus ne se sont pas retrouvés devant un Dieu mais devant un homme. Nous ne pouvons pour penser Jésus que partir du réel à savoir le Jésus homme. Le Jésus Dieu est déjà une confession de foi. Par ailleurs il y a dans le récit de la vie de Jésus des parties relevant du mythe; Elles ne sont pas moins importantes pour autant car le mythe ne touche pas seulement à l’individuel mais à tous.
      Jésus comme tous les humains est le signifiant de Dieu, le signifié. De ce point de vue on ne pas le mettre à part des humains. Dieu n’a pas d’autres matérialité que les humains dont Jésus. Toutefois, de par sa vie, il est un signifiant maitre et s’adresse à tous les autres signifiants qui, eux aussi communiquent entre eux.Plus le rapport entre humains est dense, plus la présence divine est évidente.
      Jésus est un humain que l’on rencontre. On ne rencontre pas un Dieu.à moins de l’inventer et de l’imaginer . Dieu est un espace, une atmosphère dans laquelle nous vivons . Nous sommes en Dieu et Dieu est en nous..
      Jésus est celui qui concilie l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse pour reprendre une formule de Pascal. Pour le dire de façon plus moderne, il concilie le cerveau gauche symbolisant la pensée mécaniste, technique ,cartésien, le langage et le cerveau droit qui privilégie la connaissance intuitive, il crée, invente il est secoué par l’émotion , voit les choses globalement., est sensible à la poésie. Avec Jésus, l’homme est à la fois débatteur comme Socrate, affirmatif comme Nietzsche.
      Jésus est le chantre et le modèle de la pleine humanité tant désirée et tant bafouée à la fois.
      Pour ce qui est de l’ église sans l’église, j’y reviendrais dans un prochain article.

  5. CAYLA dit :

    Merci à Serge Soulier et à Bruno Etienne qui reprend en le radicalisant le propos de ce dernier . Reste la question du Christ comme le dit. Holcroft. Si la référence au Christ est superflu, pourquoi parler encore de christianisme? Si elle demeure importante, il convient d’expliciter ce que l’on entend par le terme “Christ” ou “christ” au-delà de son sens étymologique. Que veut-on dire quand on dit que Jésus est le Christ, si l’on considère que Jésus est un homme comme un autre, c’est-à-dire ayant une existence historique ? Sinon ne peut-on aussi considérer que le Jésus qui apparaît diversement à travers les textes des épitres puis des évangiles , est un personnage mythique? ce qui présente un intérêt tout aussi grand , puisque le personnage sinon la personne est, de toute façon, à la base de la religion chrétienne. La question pourrait être: peut-il y avoir une religion sans mythe? ( De même, les récits prétendant rapporter les vies de Bouddha ou de Mahomet sont largement mythiques.) Je sors peut-être du sujet, veuillez m’en excuser, c’est pourquoi j’ai attendu un certain temps pour réagir à cet article, ne sachant trop ce qu’exprimer de ma pensée. Mais bon, chacun a un point de vue qu’il peut exprimer…

    • Gil dit :

      Bonsoir Roselyne, pour ma part j’évite le “Jésus-Christ”, qui me semble un peu une formule toute faite. Et je dis plutôt “Jésus de Nazareth”.
      Et le terme christianisme ne m’inspire pas beaucoup.

      • Soulie Serge dit :

        Bonjour Roseline
        Je suis pleinement d’accord avec cette remarque. Le mot Christ est une confession de foi des premiers chrétiens. Il signifie pour certains que Jésus est bien le Messie attendu, d’autres le contestent à commencer par ceux qui l’ont crucifié.. Le mot Christ désigne aussi Jésus comme un Dieu ce qui me gène. Dans certaines situations il m’arrive de dire Jésus-Christ pour être pris au sérieux. Il m’a été dit que c’était les enfants qui disaient Jésus ! Être pris pour un enfant n’est peut-être pas si mal !
        Pour ce qui est du mot christianisme, c’est un mot qui recouvre une grande diversité. Il met tout le monde dans le même sac, c’est un risque..Il faut préciser à quel type de christianisme on fait allusion lorsque on doit l’employer..Tous les chrétiens ne sont pas obliger de penser la même chose.et c’est heureux comme çà. .

  6. Roseline CAYLA dit :

    Je reviens…”Dieu sera reconnu comme le terreau dans lequel tout prend racine. Il ne sera plus objet de croyances.” Voulez-vous signifier un Dieu/origine de l’univers? de tout ce qui vit sur terre et ailleurs peut-être? un Dieu origine de chaque instant, de chacun de nous? un dieu agissant par et pour l’être humain et plus largement même pour tout le vivant.? Mais tout cela est croyance. Quant à dire que ce Dieu ne sera plus dans l’avenir objet de croyance, cela me semble encore…une croyance, car, aucune religion ne pouvant prétendre connaître Dieu en soi, chacune l’imagine selon ses images dans lesquelles elle croit. Et même si les religions disparaissent, chaque être humain aura sa façon de concevoir “Dieu” . Si tel n’était pas le cas un jour, cela voudrait dire que Dieu n’est plus Dieu, mais un “objet” qui s’imposerait à tous, un objet dont l’existence serait vérifiable en quelque sorte! Actuellement deux auteurs (catholiques!) qui sont loin d’être des astrophysiciens et qui prétendent cependant faire de la vulgarisation dans ce domaine, tiennent un discours qui se dit objectif, mais plaide en faveur du Dieu biblique créateur de l’univers, en affirmant comme vérité scientifique une chose qui n’est ni prouvée ni démontrée, à savoir que l’univers aurait une origine ! Or parler de big-bang est une image que l’on a fini par prendre pour une réalité. Actuellement d’autres théories ont cours, tout aussi possibles. Ce n’est pas le lieu d’entrer ici dans les détails. Plutôt que de vouloir prouver Dieu, ne serait-il pas plus judicieux de dire : Qu’il y ait objectivement un Dieu ou qu’il n’y en ait pas, reconnaissons que tout ce que les êtres humains que nous sommes disent sur “Dieu” est… parole humaine. Ne sacralisons donc pas les textes bibliques, dont on peut constater d’ailleurs, qu’ils ne donnent pas tous la même image de Dieu, puisque chacun est tributaire d’un milieu, d’une époque etc. Mais ne faisons pas fausse route en appelant l’astrophysique à la rescousse de la théologie. Que l’humain reconnaisse qu’il a inventé les dieux dont il parle, et si nous avons besoin de faire parler un “Dieu” (le nôtre, comment en serait-il autrement !!) , que ce soit pour la vie du monde et non pour la mort,(facile à dire me direz-vous) car même athée, chacun a et aura son “Dieu” … Bon, j’ai dû encore sortir du sujet.

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